Wabakimi : la terre des fantômes gris

Le billet d’aujourd’hui provient de Shannon Walshe, biologiste au parc provincial Wabakimi.

Je suis certaine que ces curieux animaux, jetant un coup d’œil entre les arbres, nous surveillaient alors que nous passions devant en pagayant.

Nous savons qu’ils existent, mais comme on les voit si rarement, on les appelle les « fantômes gris ».

Le parc provincial Wabakimi abrite la créature insaisissable connue sous le nom de caribou des bois, à l’extrémité la plus au sud de son aire de répartition.

Expérience personnelle

À titre de biologiste du parc Wabakimi, je me considère très chanceuse de passer mes étés à rechercher des animaux aussi majestueux et à pagayer dans ce lieu magique indescriptible.

Pour pénétrer dans l’arrière-pays, il faut habituellement prévoir un trajet en canot d’au moins huit jours, un trajet en avion ou en train, puis pagayer jusqu’à un des rares points d’accès routiers.

Vue aérienne du parc (eau et forêt)

Lors de la plupart de mes trajets dans le parc, j’ai la chance de voir au moins un caribou. Cependant, je vais partager avec vous un des moments les plus mémorables que j’ai connus en me retrouvant face à face avec cette créature.

Un collègue et moi-même marchions au cœur du parc Wabakimi, revenant d’une parcelle d’habitat du caribou, lorsque nous avons repéré un caribou couché dans la mousse devant nous. Nous sommes tous deux restés figés sur place, puis nous nous sommes accroupis pour paraître plus petits.

Si le caribou ne peut pas sentir la présence de quelqu’un, il détecte alors le mouvement habituellement; ce caribou était toutefois bien conscient de notre présence.

Nous avons vu le caribou se lever, puis décrire lentement un grand cercle autour de nous, histoire de détecter notre odeur. À un moment donné, il s’est même approché afin de mieux nous voir, avant de finalement s’éloigner.

Ils sont aussi curieux envers nous que nous le sommes envers eux, et viendront souvent vous regarder s’ils ne sentent aucune menace. Cette rencontre fortuite a réaffirmé jusqu’à quel point il est important pour nous de veiller à ce que le caribou demeure dans cette extrémité sud non seulement pour l’expérience qu’il nous fait vivre, mais aussi en tant que baromètre de la santé d’un écosystème.

Faits intéressants au sujet du caribou

Saviez-vous que le caribou et le renne sont en fait un et même animal? « Renne » est le nom donné au caribou en Scandinavie et en Russie, mais il s’agit de la même espèce (Rangifer tarandus) partout où on les trouve dans le monde.

Des glandes odoriférantes situées à la base des chevilles permettent au caribou de signaler qu’il est en danger. Il se dressera sur ses pattes arrière pour sécréter une odeur qui alerte les autres caribous.

Le caribou possède de grands sabots fendus qui le supportent lorsqu’il se déplace dans la neige profonde ou la fondrière de mousse. Ces sabots lui servent de pelles pour creuser dans la neige jusqu’à une profondeur d’un mètre afin de trouver du lichen terricole.

Le caribou est un membre de la famille des cervidés et c’est la seule espèce dont les mâles et les femelles portent des bois. Les femelles perdent leurs bois juste après avoir mis bas en mai ou juin, et les mâles perdent les leurs après s’être accouplés en novembre ou décembre.

Sources d’alimentation du caribou

Le caribou dépend beaucoup du lichen qui pousse au sol durant l’hiver et l’été. L’été, il complétera son régime d’autres plantes herbacées.

Le lichen pousse le mieux dans les peuplements clairs de pins gris ou d’épinettes noires, et il se régénère le mieux après un intense feu de forêt. Ces feux sont importants pour assurer un habitat futur au caribou; cependant, une fois que le lichen est perturbé, cela peut prendre au moins 40 ans avant qu’il se rétablisse.

sol couvert de lichen de caribou
Lichen de caribou

L’hiver, le caribou peut sentir le lichen sous un mètre de neige, et creusera jusqu’au sol pour le manger.

Il mangera aussi le lichen « poil d’ours » (usnée barbue) qui pousse sur les épinettes noires dans les terres humides, où les arbres sont plus petits et le lichen beaucoup plus abondant et facile à atteindre.

Mise bas du caribou

Durant les mois d’été, les caribous se dispersent vers les îles et les terres humides pour mettre bas. Normalement un seul bébé naît, mais à l’occasion la mère mettra au monde deux bébés.

La mise bas a habituellement lieu en mai et juin, mais on sait que les caribous demeurent sur les îles jusqu’en septembre une fois que leur bébé est né. Une théorie à cet égard est qu’ils se rendent sur ces îles pour éviter les prédateurs, principalement les loups et les ours noirs.

Wabakimi : un lieu de protection

Ces animaux timides et très mystérieux ont besoin de grandes forêts de pins ou d’épinettes  exemptes de routes et d’autres perturbations pour être florissants de santé. On estime qu’un troupeau moyen de caribous des bois nécessitent 900 000 ha de milieu sauvage non perturbé, ce qui représente environ la superficie du parc provincial Wabakimi (850 000 ha).

L’une des principales raisons pour lesquelles on a créé le parc Wabakimi était de protéger le caribou et son habitat contre l’aménagement potentiel. Cette superficie était une exigence minimale pour soutenir le caribou.

Trace de caribou dans le sable
Trace de caribou

« La présence du caribou est un baromètre de la santé des forêts. Si les caribous ne vont pas bien, cela signifie que nos forêts sont en difficulté, et nous avons besoins de forêts en santé pour qu’elles aident à séquestrer le dioxyde de carbone, à réguler le climat et à atténuer les risques d’inondation, pour ne nommer que quelques-uns des services écologiques qu’elles rendent. » [traduction] — David Suzuki

Une espèce en péril

Le caribou des bois est une espèce canadienne emblématique que l’on trouvait jadis dans 80 % du pays.

Aujourd’hui, la population de caribous chute de façon spectaculaire. Au moins la moitié de l’aire de répartition du caribou est perdue à cause d’activités qui perturbent et fragmentent son habitat boréal, comme la construction de routes.

Photo credit: Doug Gilmore

Ces changements dans la forêt boréale font du caribou une proie facile pour son prédateur naturel : le loup.

À l’heure actuelle, le caribou des forêts est une espèce « menacée » selon la Loi sur les espèces en péril fédérale, ce qui signifie qu’il est menacé d’extinction. Heureusement, on trouve encore le caribou à l’extrémité sud de son aire de répartition actuelle au sein du parc provincial Wabakimi.

Si vous planifiez une excursion en canot au parc Wabakimi, vous pourriez avoir la chance d’en apercevoir un en pagayant à travers le parc, ou du moins sachez qu’eux vous surveillent.

Recherche au parc Wabakimi

Notre recherche consiste à effectuer des levés des îles pour détecter la présence de bébés caribous afin de protéger certaines zones et de les désigner des pouponnières. Chaque hiver, on survole un transect dans le parc pour déterminer où se trouvent les caribous et s’ils fréquentent les mêmes zones que par les années antérieures.

plantes d’un vert vif poussant dans une zone brûlée

Des écrans témoins sont installés pour déterminer l’étendue des déplacements et la présence des caribous le long de certains parcours canotables ou portages qui pourraient éventuellement être en conflit avec l’usage récréatif. L’habitat et la régénération après feu sont étudiés pour s’assurer qu’un habitat adéquat actuel et futur est disponible.

Comment vous pouvez aider

  • Lorsque vous séjournez dans le parc, évitez de camper sur les îles. Déplacez-vous sans faire de bruit afin de réduire la perturbation. Ainsi, vous augmenterez peut-être aussi vos chances de voir un caribou.
  • Restez sur les sentiers existants pour éviter de marcher sur les tapis de lichen.
  • Gardez les chiens en laisse pour éviter qu’ils ne chassent ou attaquent les caribous.
  • Si vous voyez un animal, arrêtez-vous et observez-le au lieu de le poursuivre. Procurez-vous un appareil photo muni d’un bon objectif et essayez de le capter à distance.