Peinture à l’huile d’une tortue peinte nageant en eau sombre près de deux nénuphars

Martyn de la Madawaska

C’est aujourd’hui que je vous raconte l’histoire de la tortue peinte no 353 : « Martyn la tortue de la Madawaska ». (Le présent texte est basé sur une histoire vraie et contient une touche de liberté créative de l’auteur.)

Martyn est une tortue plutôt ordinaire, mais comme la plupart des tortues, son histoire est intéressante et doit être racontée.

Partie 1 : Le commencement

C’était en 1984. Près d’un siècle s’était écoulé depuis qu’on avait entendu le bruit de ferraille des premiers trains qui passaient en bordure de l’étang Wolf Howl (illustré ci-dessous), et quelques décennies depuis que les dernières traverses du chemin de fer avaient été retirées.

Peinture à l’huile d’un marais et d’une forêt en arrière-plan
Oeuvre : Peter Mills

Aujourd’hui, la digue de l’étang Wolf Howl est un populaire sentier de randonnée pédestre du parc provincial Algonquin, réputé pour l’observation de la faune et un des nombreux sites de recherche sur les tortues dans le parc.

Toutefois, les randonneurs n’étaient pas les seuls à emprunter les talus de sable. Les grandes chaleurs de l’été étaient chose du passé.

Alors que le temps se faisait plus frais, les œufs de tortue, eux, éclosaient. « Martyn », la tortue peinte du Centre, qui sera plus tard connue sous le nom de la tortue no 353 pour les chercheurs, bêchait son œuf et attendait le moment opportun dans sa cavité souterraine…

Partie 2 : Les premières années

Les petites tortues qui réussissent à survivre leur première année (ou la deuxième ou la troisième!) accomplissent tout un exploit. Nous sommes maintenant en 2002; 18 ans ont passé depuis que Martyn est sorti de son œuf.

Les chances d’atteindre l’âge de 20 ans étaient seulement de 1 %. Contre toute attente, Martyn a réussi.

Tortue peinte
Photo : Patrick Moldowan

Martyn porte maintenant le code identificateur no 353 sur sa carapace; une marque qu’il devra porter toute sa vie pour les fichus chercheurs de l’aire de recherche sur la faune du parc provincial Algonquin.

Durant sa jeunesse, il est devenu une tortue active. Il a quitté son cours d’eau natal (l’étang Wolf Howl) pour se rendre au lac Rose Ouest, à quelques centaines de mètres à l’est. Le décor était tout aussi pittoresque avec ses innombrables nénuphars, et la faune y était abondante. Toutefois, sa nouvelle demeure serait seulement éphémère.

Martyn est resté au lac Rose Ouest jusqu’en 2008, au moins. Là, il regardait la course des saisons. Il était une tortue avec beaucoup d’ambition. Après tout, il y avait plusieurs autres terres humides à explorer. Les nénuphars sont toujours plus verts chez le voisin, n’est-ce pas?

Peinture à l’huile du lac Source en Ontario
Oeuvre : Peter Mills

Le voyage de Martyn s’est poursuivi vers le sud-est où les grandes eaux l’attendaient. Et voilà, il y était! Il avait enfin rejoint le lac Source (illustré ci-dessus).

Partie 3 : Les grandes eaux

C’est dans les grandes eaux du lac Source que les chercheurs de l’aire de recherche sur la faune du parc provincial Algonquin ont perdu Martyn de vue, ce qui faisait bien l’affaire de notre tortue. Il n’a pas perdu de temps à explorer ce que le grand lac avait à offrir.

Tortue peinte
Photo : Patrick Moldowan

Martyn flottait à la surface et s’assurait de garder une distance sécuritaire entre lui et les canoéistes au cas où ces chercheurs se pointeraient encore pour prendre sa pesée et ses mesures annuelles.

Il devait aussi se méfier des bateaux motorisés; ils étaient très bruyants! Sous la surface, il a fait la rencontre de grenouilles et de poissons, nettement plus gros que ceux qu’il côtoyait dans ses anciens cours d’eau.

Malgré tout ce que le lac Source avait à offrir, l’absence flagrante d’autres de son espèce ne lui avait pas échappé.

Comparativement à l’étang Wolf Howl et au lac Rose Ouest où il y avait une abondance de tortues peintes, le lac Source en avait très peu. Il ne se sentait pas du tout chez lui. Ce nouveau lac n’avait pas cette jolie jungle sous-marine de nénuphars ni de plateformes formées par des arbres tombés en bordure de l’eau où il pouvait se prélasser au soleil. Cet endroit était vraiment différent. Très rapidement, Martyn se sentit appelé par quelque chose dans l’eau, au sens propre comme au sens figuré.

Peinture à l’huile d’une rivière avec des rapides, en gros plan
Oeuvre : Peter Mills

Il avait trouvé le bassin versant du lac Source.

Devrait-il suivre l’eau vive de la rivière Madawaska? Oserait-il affronter la rivière? Qu’est-ce qui pouvait bien l’attendre en aval? Il n’y avait qu’une seule façon de le découvrir…

Partie 4 : Le voyage sur terre

Le petit voyage dans les eaux tumultueuses de la rivière Madawaska ne s’est pas déroulé comme « Martyn de la Madawaska » l’avait imaginé.

En fin de compte, il était une tortue d’eau calme.

Tortue peinte
Photo : Patrick Moldowan

Trop déterminé (ou trop entêté?) pour faire demi-tour, Martyn a dû terminer son voyage par la voie terrestre en suivant le courant. Dans l’eau, il était dans son élément. Lorsqu’il était sous l’eau, sa carapace lisse et ses palmures bien remplies lui permettaient de fendre l’eau avec élégance.

Sur la terre, cette même carapace, une modification et une fusion de la cage thoracique, était tout simplement encombrante. Eh bien! Au moins sa carapace pouvait lui servir de couverture de sécurité intégrée pour se protéger de la plupart des prédateurs.

De sa démarche lente et soutenue, Martyn avançait laborieusement le long de la berge. Il se frayait un chemin à travers les troncs de vieux érables qui étaient tombés et qui pourrissaient. Quel parcours d’obstacles! Comme sa lourde carapace rendait son voyage très difficile, Martyn se reposait souvent. Du même coup, il en profitait pour observer les environs.

Même si sa vie était étroitement liée à un monde sous l’eau, il pouvait très bien déceler les couleurs, les ombrages et les mouvements en plein air.

Peinture à l’huile d’arbres à feuilles caduques à l’automne, d’un angle incliné vers le bas
Oeuvre : Peter Mills

Le couvert forestier du milieu de l’été de la forêt caducifoliée était un vrai plaisir pour les yeux. Du jamais vu, du moins de cet angle.

Lorsque Martyn est finalement arrivé au seuil de la forêt, on aurait dit que toute une éternité avait passé…

Partie 5 : La course et le danger

Martyn sentait que l’eau libre qu’il désirait plus que tout était proche.

Maintenant à l’extérieur de la forêt, il se sentait vulnérable dans tout cet espace ouvert qui l’entourait. Malgré les nuages qui s’assombrissaient à l’horizon, il ne s’attendait pas au grognement de cette distance. Bientôt, le tonnerre se fit entendre de beaucoup trop près à son goût.

Le sol trembla. Martyn, lui, trembla de la tête à ses pattes palmées.

Le bruit était devenu un rugissement effroyable lorsqu’un camion à 18 roues est passé à toute allure devant lui. Le grand coup de vent et les petites roches qui avaient frappé sa carapace ont failli faire basculer Martyn vers l’arrière.

Mais qu’est-ce que c’était que ce monstre?

Martyn était sur la chaussée de l’autoroute 60. Cette autoroute provinciale est empruntée par de nombreux véhicules et elle traverse la partie sud de sa maison.

Il examinait la route noire asphaltée; elle semblait incroyablement large et tant intimidante que dangereuse. Les muscles de Martyn étaient déjà endoloris tellement ils étaient fatigués. C’était maintenant ou jamais. Il ne rebrousserait pas chemin pour escalader des billots et tenter de nager contre le courant de la grande rivière Madawaska.

Il ne s’était traîné que quelques mètres vers l’avant lorsqu’il entendit un autre grondement qui faisait trembler tout son corps. Sa grande acuité visuelle s’était centrée sur quelque chose de brillant et qui approchait à toute vitesse.

Par réflexe, Martyn s’était accroché solidement à l’intérieur de sa carapace. Tout était devenu noir. Après tout, cette couverture de sécurité lui avait bien servi jusqu’à ce jour.

Le crissement de pneus s’est fait entendre.

Un nuage de poussière s’est levé. Puis, le bruit d’un claquement de portière et d’une série de bruits sourds.

Avant même de savoir ce qui se passait, Martyn flottait dans les airs et il était presque arrivé là où il souhaitait se rendre. Toujours caché dans sa carapace, Martyn avait tellement peur qu’il n’a pu s’empêcher d’uriner un peu.

Heureusement, ce conducteur était conscient de la faune qui l’entourait; il était aux aguets, astucieux et serviable. D’autres automobilistes se sont arrêtés pour essayer de comprendre ce qui se passait. « Non, il n’y a pas d’orignal, mais cette tortue avait besoin d’aide pour traverser la route. » expliqua le sauveteur.

Martyn a été une tortue chanceuse.

Il avait survécu deux décennies sans aide. Martyn pourrait vivre encore un autre demi-siècle, mais il devra éviter les routes.

Peinture à l’huile d’une route bordée de champs et de forêts verts, et d’engoulevents volant dans le ciel
Oeuvre : Peter Mills

Martyn a reçu une petite tape sur la carapace et des mots d’encouragement (« ne traverse plus de routes, petite tortue »). C’est ainsi qu’il était laissé à lui-même, sain et sauf.

Il n’a pas ouvert les yeux ni bougé pendant les trois prochains quarts d’heure…

Partie 6 : Lac Found, trouvé!

L’air se refroidissait rapidement et la rosée du soir commençait à perler sur la carapace de Martyn. Cette expérience routière l’avait complètement secoué. Il lui a fallu près d’une heure pour trouver le courage de sortir son cou de sa carapace. Martyn a cligné des yeux malgré la noirceur qui commençait à tomber.

Enfin! Le voilà! Le lac Found.

Peinture de nuages assombrissant le lac
Oeuvre : Peter Mills

Avec cet éclairage, le lac semblait idyllique. Les pins qui dansent, le cri plaintif d’un huard, la grande étendue d’eau et le bourdonnement des moustiques : voilà l’essence même du parc Algonquin.

Avec ses pattes de devant tendues, il a perdu son centre de gravité et s’est laissé glisser en bas de la digue vers le lac. Il s’est arrêté très brièvement pour promener son regard sur l’horizon avant de se glisser dans l’eau, où il a laissé sa flottabilité positive le guider.

L’eau froide a rafraîchi son corps épuisé et a lavé la poussière qui s’était accumulée sur lui pendant son voyage sur terre. Alors que la lune montait par?dessus le couvert forestier et que la Grande Ourse se formait dans le ciel, Martyn avait trouvé refuge sous un vieux billot submergé.

Il pourrait poursuivre son exploration demain…

Partie 7 : À la maison… pour l’instant

Martyn semble s’être bien installé dans son nouveau logis. Depuis 2012, il a été aperçu à deux reprises dans l’eau froide, claire et d’un vert bouteille du lac Found.

Peinture à l’huile d’une tortue peinte nageant en eau sombre près de deux nénuphars
Oeuvre : Peter Mills

Martyn passe ses jours d’été à se prélasser au soleil, à chercher de la nourriture entre les nénuphars et à faire de courtes randonnées par terre, à l’occasion. La suite de l’histoire de Martyn n’a pas encore été écrite. Lorsqu’elle le sera, nous vous la raconterons.

Raconter des histoires de tortues

L’histoire de « Martyn de la Madawaska » est inspirée par nul autre que Martyn lui-même (bien sûr!) ainsi que par l’expérience du naturaliste Peter Mills, qui a trouvé et signalé les comportements imprévisibles de Martyn au lac Found en 2012.

Cette #HistoireDeScience a été écrite par l’étudiant et chercheur Patrick Moldowan et a été illustrée par Peter Mills. Mise à part la liberté créative de l’auteur, il s’agit d’une histoire vraie sur les recherches entourant Martyn.

Tortue peinte
Photo : Patrick Moldowan

Comme il a été mentionné au début, Martyn est une tortue plutôt ordinaire. Il y a bien des raisons de croire que cette histoire est toute aussi captivante que celle des autres milliers de tortues du parc provincial Algonquin et ailleurs.

Les 75 ans de recherches sur l’écologie de l’aire de recherche sur la faune du parc provincial Algonquin ont grandement contribué à nos connaissances, aux politiques et à la conservation d’espèces et d’écosystèmes au Canada, y compris les tortues et leurs habitats. Ces études sont rendues possibles grâce aux dons.

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