Vous arrivez à votre aire de campement par une belle journée de printemps pour profiter du début de la saison de camping et vous commencez à vous installer. Vous avez déjà remarqué que les arbres menant au parc semblent minces, comme ils le sont habituellement au début du printemps.
Puis, un de vos enfants remarque, sur l’un des arbres, une grosse masse noire et grouillante….
C’est une armée de chenilles!
Mais avant de tout ramasser et de retourner à la maison, regardez de plus près. Oui, oui, les chenilles c’est cool!
À la maison, vous n’avez peut-être pas été heureux de voir des livrées de forêts. Elles peuvent défolier les arbres à une vitesse impressionnante, ramper partout pour trouver leur prochaine victime (un arbre), et faire des ravages.
Ici, dans le parc, elles défolient aussi les arbres et rampent partout. Elles font même caca sur votre tête! Toutefois, ces chenilles jouent un rôle important dans le cycle de vie de la nature.
Introduction à la livrée des forêts
Parfois connues sous le nom de vers de tentes ou noctuelles ponctuées, il existe deux espèces de livrées.
- Livrée des forêts – Cette espèce ne forme pas de tentes. Ces chenilles s’amassent plutôt sur des troncs d’arbre pour assurer leur sécurité. Lorsque ces chenilles se réunissent en masse, elles ne ressemblent pas aux chenilles que de nombreux prédateurs aiment manger. On peut les identifier grâce aux pois sur leur dos. Ces chenilles sont les plus grands insectes défoliateurs des feuillus en Amérique du Nord, et elles ont un faible pour les peupliers faux-trembles et les bouleaux gris.
- Livrée d’Amérique – Cette espèce fabrique de grandes « tentes » avec la soie qu’elles produisent. Elles attachent des feuilles pour se créer un abri pour se protéger la nuit. On peut les reconnaître au moyen de la ligne blanche ornant leur dos. Ces chenilles aiment tout particulièrement les feuilles des cerises noires et des plantes de la famille des roses.
Fait amusant! Saviez-vous que l’excrément des chenilles est appelé de la « sciure »? Parfois, il y a tellement de chenilles que le bruit de la chute de la sciure s’apparente à une pluie légère.
La métamorphose est vraiment intéressante!
Chaque été, des papillons nocturnes pondent des œufs dans la forêt (environ 100 œufs dans les filaments sur les branches) recouverts d’une couche protectrice. Ces œufs se collent à une branche pendant tout l’hiver. Ils éclosent seulement au printemps lorsque les feuilles sont nouvelles et fraîches. Une fois que les minuscules chenilles sont sorties de l’œuf, elles mangent constamment.
Les livrées muent de nombreuses fois afin qu’elles puissent grandir. Une fois qu’elles ont atteint une bonne taille, elles commencent à se promener à la recherche d’un bon endroit pour tisser leur toile et fabriquer un cocon de soie à l’aide des filières près de leur bouche. Il y a quelques siècles, et encore à ce jour, les vers à soie sont utilisés pour produire de la soie en Chine.
À l’intérieur du cocon, quelque chose de magique se produit. Le corps de la chenille devient comme une sorte de liquide de manière à réorganiser ses cellules et sa structure. Le corps souple de la chenille se transforme en papillon nocturne. Ce papillon a un corps durci, six longues pattes et des ailes!
Vous verrez les chenilles de mai à juin et les papillons nocturnes des années précédentes sortir de leur cocon de juin à juillet. Vous les verrez sur les murs des blocs sanitaires et d’autres installations du parc.
Il y a une génération de papillons nocturnes par année, mais ceux que vous pourriez voir sont de l’année précédente; il ne s’agit pas des chenilles que vous avez vues au printemps.
Pourquoi en trouve-t-on un si grand nombre cette année?
Tous les dix à douze ans, nous avons une pullulation de ces chenilles qui durent de trois à six ans. Nous vivons présentement la pullulation de la livrée d’Amérique (la chenille qui ne forme pas de tentes).
Voici comment cela s’explique. Les papillons nocturnes pondent un grand nombre d’œufs et la population de chenille augmente petit à petit chaque année jusqu’à ce qu’elle explose, car les prédateurs ne peuvent pas tenir le rythme. Ces derniers ne se multiplient pas aussi rapidement que les chenilles.
Lorsque la population des prédateurs se rattrape, la population des chenilles connaît une chute et il lui faut de nombreuses années avant qu’elle puisse se rétablir, juste à temps pour une nouvelle explosion de population.
Un grand nombre de plantes et d’animaux vivent des cycles de hausses et de baisses extrêmes. La population du lièvre d’Amérique connaît une très grande hausse lorsque les conditions sont favorables, mais la population du lynx du Canada, son principal prédateur, augmente aussi, ce qui empêche une surpopulation de lièvres.
C’est la même chose avec les livrées.
Les répercussions
Les livrées sont voraces. Dans certains cas, elles mangent toutes les feuilles des arbres.
Lorsqu’elles ont défolié un arbre, elles se déplacent en groupe, comme une armée (l’union fait la force). De cette façon, elles peuvent mettre beaucoup d’arbres à nu en peu de temps.
Lorsque les chenilles se déplacent en si grand nombre, elles peuvent causer des problèmes de circulation. Il est déjà arrivé que les routes du parc soient glissantes en raison de chenilles écrasées.
Ce n’est pas si mauvais
Mais ce n’est pas si mauvais. Une fois que les chenilles sont assez grosses et qu’elles commencent à tisser un cocon, de nouvelles feuillent poussent sur les arbres.
La défoliation temporaire du printemps causée par les chenilles permet au soleil de plomber sur certaines plantes du sol forestier qui, en général, peinent à recevoir assez de lumière. Cela permet aux plantes de grandir et d’augmenter leur chance de survie.
Quant à elle, la sciure agit comme fertilisant capable de rehausser la qualité du sol forestier.
Prédateurs naturels
De nombreuses espèces de chenilles sont recouvertes de poils raides. Ces poils font en sorte que les animaux n’aiment pas les manger. Toutefois, cela ne dérange pas certains oiseaux, car ils peuvent régurgiter les poils piquants.
Le coulicou à bec noir est l’un de ces oiseaux. Il existe au moins 60 espèces d’oiseaux qui ont été aperçus à manger les livrées. Durant la saison de reproduction, les livrées sont l’une de leurs nourritures préférées.
Le coulicou à bec noir n’est pas très commun et on le voit rarement. Toutefois, son cri, quelque part entre celui d’une oie et le son d’une flûte assourdie, permet de le reconnaître. Son nom anglais, le black-billed cuckoo, est inspiré de son cri : « cu-cu-cu-cu… cu-cu-cu ».
Lorsque les chenilles sortent de leur cocon pour commencer une nouvelle vie en tant que papillons nocturnes, un autre prédateur ailé les attend. Les papillons nocturnes sont l’une des proies préférées des chauves-souris, car ils sont gros, juteux et remplis de nutriments.
Au printemps, de nombreux autres animaux mangent aussi les livrées, notamment les grenouilles, les souris et les écureuils.
Des chercheurs du Minnesota ont examiné les excréments d’un ours noir relâchés au cours d’une journée. Leurs résultats indiquaient que l’ours avait mangé environ 25 000 chenilles! Ces mêmes chercheurs ont trouvé que plus de 100 espèces d’insectes avaient déposé des parasites (des œufs ou des larves) sur les livrées.
La mouche amicale est un autre ennemi naturel de la chenille et fait partie des espèces coupables de l’utiliser comme hôte pour des parasites. Espèce indigène de l’Ontario, on peut facilement la reconnaître, car elle est plus grosse, plus lente et plus poilue que les autres mouches.
Ces mouches semblent « amicales », car, contrairement aux autres, lorsqu’elles atterrissent sur vous, elles doivent être balayées d’un geste de la main. Elles ne s’envolent pas au moindre mouvement comme les autres. De plus, elles arrivent parfois en très grand nombre. La mouche amicale dépose des asticots vivants au stade nymphal sur les livrées. Ces asticots se nourrissent de la chenille jusqu’à ce qu’elle meurt.
Lorsque ces mouches font leur entrée, cela indique que l’infestation des livrées tire à sa fin.
Les livrées, même les invasions comme celle-ci, font partie de la nature. Au final, les forêts restent en santé grâce à elles.
Que devrais-je faire?
Ces chenilles ne représentent pas une menace aux humains et elles font partie de l’expérience d’être en forêt. Les livrées font leur apparition en mai et juin pendant les années d’invasion.