Collage de recherches sur la salamandre

Sarracénie pourpre carnivore trouvée au parc provincial Algonquin

Le billet d’aujourd’hui provient de Samantha Stephens, une photojournaliste spécialisée en sciences et conservation qui a passé l’été dernier en résidence à l’Algonquin Wildlife Research Station.

L’enthousiasme que suscite une découverte est un sentiment que tout le monde a éprouvé. Trouver un nouveau lieu de randonnée pédestre préféré ou ajouter un oiseau observé pour la première fois à sa liste ornithologique sont des exemples familiers pour les amants de la nature.

Pour le naturaliste, la découverte la plus palpitante émane de l’observation d’espèces connues en train d’interagir d’une façon qui n’a jamais été documentée.

C’est ce qui est arrivé à Patrick Moldowan, un étudiant de doctorat de l’Université de Toronto qui dirige une étude à long terme sur les salamandres maculées au parc provincial Algonquin.

Patrick passe ses étés à l’Algonquin Wildlife Research Station, documentant divers aspects des populations de salamandres.

Et c’est ce qui l’a amené à découvrir que les plantes carnivores mangent les bébés salamandres.

Avez-vous dit « plantes carnivores »!?

Habituellement, les plantes acquièrent des nutriments à partir du sol.

Cependant, les tourbières sont des milieux pauvres en nutriments; donc, les sarracénies pourpres qui poussent dans cet habitat ont élaboré une stratégie pour compléter leur régime alimentaire. Elles sont devenues carnivores, ce qui signifie qu’elles mangent la chair des animaux.

sarracénie pourpre

Ces plantes comportent des feuilles campanulées qui forment des vases servant à recueillir l’eau de pluie, dans laquelle elles excrètent les sucs digestifs. Ces vases remplis de liquide attirent les insectes invertébrés, tels que les mouches, les papillons nocturnes et les guêpes.

Les insectes sont piégés dans le vase et sont ultérieurement décomposés par une combinaison des sucs digestifs et des microorganismes qui vivent dans l’eau de pluie.

Or, ces plantes ne mangent pas que des insectes

En 2017 et 2018, des étudiants du premier cycle et des instructeurs travaillant sur des projets écologiques dans le cadre d’un cours de biologie sur le terrain ont enquêté sur les sarracénies pourpres en vue de documenter les invertébrés proies.

Une scientifique en train d’enquêter sur des sarracénies pourpres
Amanda Semenuk en train d’enquêter sur les plantes. Photo : Samantha Stephens

À leur grande surprise, ils ont trouvé bien plus que des insectes.

Une salamandre maculée juvénile était piégée dans le vase et y nageait!

Ces observations ont intrigué Patrick et l’instructeur du cours sur le terrain, M. Alex Smith, et les ont incités à examiner de plus près le phénomène. Des enquêtes ultérieures ont permis de trouver des salamandres piégées dans 1 plante sur 5!

Ces observations ont été publiées dans un article qui a paru le printemps dernier (2019), et la remarquable découverte a depuis attiré l’attention à l’échelle internationale.

Le rôle essentiel des salamandres s’élargit

Les salamandres passent la plus grande partie de leur vie sous terre, ou sous des objets leur servant d’abris sur la couverture morte, comme des roches et des billes de bois; elles sont donc rarement vues par les randonneurs.

salamandre
Migration de la salamandre maculée (Ambystoma maculatum) au parc provincial Algonquin. Photo : Patrick Moldowan

Mais n’interprétez pas à tort cette présence cachée comme un signe de leur rareté; en fait, l’abondance de salamandres dans l’écosystème forestier peut l’emporter sur celle d’autres groupes d’animaux, comme les oiseaux et les mammifères.

Et elles ont un rôle très important à jouer.

Au printemps, les pluies froides font bouger les salamandres adultes des zones d’hivernage souterraines et leur offrent les conditions parfaites pour faire le périple jusqu’aux lacs, mares ou étangs vernaux, où elles s’accouplent et déposent des masses d’œufs gélatineuses. Une fois cette tâche accomplie, elles retournent à la forêt depuis ces plans d’eau.

Salamandres maculées
Des salamandres maculées aux étapes de vie adulte (à gauche) et juvénile (à droite). Les juvéniles peuvent peser aussi peu que 0,3 g et mesurer aussi peu que 3 cm de long. À cette taille, ils sont assez petits pour devenir la proie des sarracénies pourpres. Photo : Samantha Stephens

Durant l’été, les masses d’œufs qu’elles ont laissées derrière se transformeront en larves aquatiques (têtards), puis à l’automne, elles se transformeront à nouveau, cette fois en juvéniles terrestres. Ces « métamorphes » peuvent peser aussi peu que 0,3 g et mesurer aussi peu que 3 cm de longueur.

Ces jeunes salamandres minuscules doivent quitter ces lieux d’éclosion aquatiques pour trouver un abri souterrain pour l’hiver. C’est à cette étape que les salamandres pourraient devoir traverser un tapis de tourbière, où les attendent les sarracénies pourpres.

Qu’est-ce que cela signifie?

Les salamandres sont reconnues depuis longtemps comme un élément important du cycle nutritif dans les systèmes écoforestiers.

Alors qu’elles se déplacent entre des sites terrestres et aquatiques, elles redistribuent les nutriments entre les deux types d’habitats. Elles dévorent des invertébrés, dont bon nombre participent à la décomposition. Ainsi, les populations de salamandres ont des effets profonds sur le taux de décomposition de la couverture morte.

Depuis qu’on a découvert que les salamandres se font manger par les plantes carnivores, on croit qu’il est possible qu’elles constituent une vaste source de nutriments pour ces populations végétales.

Des salamandres se faisant manger par des plantes
En 2018, des salamandres juvéniles ont été trouvées dans 1 plante sur 5 au site de l’étude. Dans certains cas, plus d’une salamandre a été observée en même temps dans un vase. Le nombre record de salamandres trouvées dans un seul vase jusqu’à présent est de quatre. Photo : Patrick Moldowan

Pour une sarracénie pourpre qui est habituée à attraper de petits insectes proies, la salamandre est relativement un grand festin!

Mais d’autres questions doivent obtenir réponse avant que les chercheurs puissent indiquer avec certitude en quoi les salamandres contribuent au régime alimentaire des plantes.

Ce n’est que le début de l’histoire

Un des aspects les plus inspirants au sujet de la science est que chaque nouvelle découverte entraîne d’autres questions!

L’histoire des sarracénies pourpres mangeuses de salamandres continue d’évoluer.

L’été dernier, Patrick et Amanda Semenuk, chercheurs et étudiants de premier cycle de l’Université de Guelph travaillant au laboratoire de M. Alex Smith, faisaient des travaux sur le terrain – dans les tourbières jusqu’aux genoux et entourés d’un nuage de moustiques – pour approfondir les détails de cette histoire.

femme tenant une poire à sauce contenant des éléments végétaux
Amanda Semenuk a mené des enquêtes cet été (2019) pour recueillir de plus amples renseignements sur l’incidence de ce phénomène prédateur-proie. L’eau de pluie stagnant dans les feuilles de la sarracénie pourpre devenait souvent assez trouble lors de la décomposition des invertébrés et salamandres proies; on utilisait donc une poire à sauce à l’occasion pour mieux examiner le contenu d’un vase. Photo : Samantha Stephens

À nouveau, ils ont recueilli des données sur la fréquence de capture des salamandres, cette fois-ci en incluant plus de plantes, non seulement au site initial de la découverte, mais aussi au sein d’autres populations de sarracénie pourpre dans le parc.

Les salamandres se retrouvent-elles dans les vases par « accident »?

Certains vases sont alignés avec la surface de la tourbière; il est donc possible que les salamandres juvéniles s’y retrouvent piégées tout simplement parce qu’elles ont fait un malheureux pas.

Cependant, dans d’autres cas, les salamandres auraient eu à grimper jusqu’à 10 cm sur le côté d’un vase pour se retrouver à l’intérieur de celui-ci. Les salamandres sont-elles attirées par les insectes proies dans les vases pour leur propre repas? Ou peut-être ont-elles l’intention d’utiliser le vase comme abri contre les prédateurs?

Pour répondre à ces questions, Patrick et Amanda ont commencé par examiner les caractéristiques morphologiques et l’emplacement des vases qui ont réussi à capturer des salamandres.

mains en train de prélever des échantillons végétaux
Patrick prélève un échantillon de sarracénie pourpre qui servira à une analyse d’azote. Cette analyse aidera à répondre à la question de savoir si les plantes sont en mesure d’utiliser l’azote – un nutriment requis pour la croissance et la reproduction des plantes – qui est libéré dans le vase et qui émane des salamandres en décomposition. Photo: Samantha Stephens

Curieusement, ce ne sont que des salamandres maculées qui ont été retrouvées dans les plantes. Les chercheurs ne sont pas encore tombés sur un cas de plantes piégeant la salamandre à points bleus très semblable. Les salamandres juvéniles maculées surpassent en nombre les salamandres à points bleus dans un rapport d’environ 30 contre 1 au site de l’étude; l’absence de cette observation est peut-être donc attribuable à leur faible abondance et aux efforts de recherche de l’étude.

Mais il demeure possible qu’il y ait d’autres raisons expliquant pourquoi seule la salamandre maculée a été observée jusqu’à présent dans les vases.

Il y en a plus à découvrir

Ce ne sont que quelques-unes des questions qui sont posées par suite de cette découverte; nous pouvons nous attendre à ce qu’il y ait de nombreux autres résultats intéressants au fur et à mesure que la recherche à ce sujet se poursuit.

Photo panoramique d’un paysage forestier par une journée nuageuse

Cette découverte démontre que même dans un endroit qui accueille les chercheurs depuis 75 ans, il y a encore beaucoup de découvertes à faire au sujet de l’histoire naturelle.

Raison de plus de sortir et d’explorer!


Pour en savoir plus sur cette étude et d’autres résultats de recherche, suivez l’Algonquin Wildlife Research Station sur Twitter, Facebook et Instagram.

De plus, Amanda Semenuk continue de transmettre des mises à jour sur Twitter au sujet de ce projet. Vous pouvez suivre la photojournaliste spécialisée en science et conservation Samantha Stephens sur Instagram et Twitter.