On ne dit pas au revoir

Le billet d’aujourd’hui a été rédigé par la naturaliste des parcs Christine King, de la Première Nation Wasauksing, alors qu’elle quitte le parc provincial Killbear  pour cette année.

Les Nishinaabeg n’ont pas de mot pour dire « au revoir ». Nous disons « baa-maa-pii, gi-gaa-waa-baa-min miin-waa, », ce qui signifie « à plus tard, au plaisir de vous revoir ».

On peut parfois aussi entendre « baamaa », « baamaapii » et « gaawaabamin ». Il s’agit évidemment de versions courtes du mot et de l’expression, mais si je me renseignais auprès de membres de ma famille et de mes amis qui parlent couramment nishinaabemowin (la langue ojibwée), ils ne seraient sans doute pas capables de traduire les mots, parce qu’ils ne constituent qu’une partie du mot et/ou de l’expression. Je me souviens que nos Aînés nous disaient de ne pas argotiser notre langue; ils nous incitent à dire le mot au complet.

Christine in uniform at parkC’est tout à fait compréhensible parce que le nishinaabemowin est une langue descriptive et que sa signification, la plupart du temps, se perd lorsqu’on traduit. J’aime apprendre et entendre ma langue maternelle, parce que ça me relie à qui je suis en tant que Nishinaabe-kwe (femme ojibwée). Cela me relie aussi à l’endroit d’où je viens à travers le dialecte parlé au sein de ma communauté.

Il existe divers dialectes partout dans l’île de la Tortue, l’Amérique du Nord. Les personnes qui parlent couramment la langue peuvent comprendre une conversation simplement en écoutant l’autre personne parler. Patricia Ningewance, auteure de nombreuses ressources en nishinaabemowin, est convaincue que c’est le cas partout au Canada. Un exemple que je peux vous donner est celui du mot « femme ». Les Nishinaabeg disent « kwe-wag », alors que nos proches mushkekowag disent « is-kwewak ». Les mots sont très semblables avec seulement une petite variante au début.

Le dialecte permet également de savoir d’où vient une personne. Un homme de ma communauté qui parle couramment notre langue m’a raconté qu’il adorait parler avec mon « papa » maternel, parce que lorsqu’il parlait c’était comme s’il chantait. Mon « papa » était de la Première Nation des Chippewas de Rama, près d’Orillia, en Ontario. J’ai souvent entendu mon papa parler, mais je ne l’ai jamais écouté parce que je ne le comprenais pas. Je me dis que ça devait être beau et je regrette de ne pas avoir écouté sa conversation même si je ne comprenais pas.

beach with autumn leaves

Aujourd’hui, nous redonnons vie à nos langues dans nos communautés. Les jeunes générations ont commencé le dur labeur d’apprendre leur langue. Ils y consacrent de longues heures et visitent fréquemment ceux qui la parlent couramment. Je serai éternellement reconnaissante à tous ceux qui ont redonné vie à nos langues et à ceux qui s’efforcent de les préserver.

Par revenir au fait qu’« on ne dit pas au revoir », je me souviens de mes propres voyages. Il est toujours difficile de quitter sa famille et ses amis, et la valse du départ commence au moins une heure avant que je parte réellement. Je commence à rassembler mes affaires, je les range soigneusement dans mon sac, puis je mets le sac près de la porte ou dans mon véhicule. Lorsque je quitte ma famille immédiate, je sais que je les reverrai dans une semaine ou deux. Mais nos étreintes sont quand même fortes et longues. Particulièrement avec ma jeune nièce, qui me fait au moins trois câlins avant que je sorte. Et habituellement elle continue en agitant frénétiquement la main et en faisant un immense sourire pendant que je klaxonne pour la saluer une dernière fois. Mais nous ne disons jamais au revoir, nous disons « à tout à l’heure ».

Je ressens un sentiment semblable alors que je me prépare à quitter le parc provincial Killbear  pour la saison. Le dernier jour, alors que je montais à bord d’un des véhicules du parc, j’ai aperçu quatre cerfs qui dévoraient le dernier bout de verdure derrière la fourgonnette.

deer in aitumn

Ils ne sont pas effrayés par ma présence parce qu’ils sont habitués à ce qu’il y ait des humains sur leur territoire, mais je garde quand même mes distances. Je les remercie également pour leur visite ce matin et je leur souhaite de survivre à l’hiver.

Puis, alors que je me dirigeais vers le centre d’accueil, un aigle a fondu devant moi. Je me suis arrêtée pour l’observer, le remercier de sa visite et lui souhaiter également de survivre à l’hiver.

rocky shoreline with blue sky and forests

Je me suis alors rendu compte à quel point j’étais chanceuse d’avoir passé l’été à Killbear en tant que  naturaliste. Chaque jour, j’ai marché au milieu de la Création. J’ai visité tous mes proches et partagé de précieux moments de découverte avec d’autres visiteurs de ce territoire.

Alors que le parc s’apprête à fermer, les campeurs de l’automne profitent de leurs dernières heures. Eux aussi se préparent à l’hiver. La Terre mère va se recouvrir de son châle blanc et va jouir d’un repos bien mérité, tandis que la plupart de ses enfants feront de même.

clouds with rays of light over lake with island

Les parc et ses habitants originels vont me manquer. Mais je ne leur dis pas au revoir.

Biwabamishinam miinwaa (reviens nous voir).

Weweni b’mibzoyeg (bon voyage), où que tu ailles.

Et finalement baamaapii (à plus tard), gigaawaabamin miinwaa (au plaisir de te revoir).