L’histoire de Butterball

Le billet d’aujourd’hui nous provient de David Bree, notre responsable du programme Découverte au parc provincial Presqu’ile.

Butterball a été en quelque sorte un enfant miracle.

Cette année-là, ce fut étonnant que son œuf ait été pondu et plus encore qu’il ait pu éclore… et il n’aurait jamais dû voler.

Toutefois, cela s’est produit.

Pour bien comprendre l’histoire de Butterball, et du miracle qu’elle constitue, nous devons nous reporter huit ans en arrière. À propos, Butterball est une sterne pierregarin (ou sterne commune).

La bataille de la sterne commune pas-si-commune

Malgré leur nom, les sternes communes ne sont pas communes et elles sont en déclin dans le bassin des Grands Lacs depuis des années.

C’est ce qui a attiré les ornithologues spécialisés en oiseaux aquatiques Jennifer Arnold et son partenaire Steve Oswald de la Penn State University à Presqu’ile en 2008.

Presqu’ile accueille entre autres oiseaux aquatiques sur l’île Gull des sternes pierregarins. Ce qui rend les sternes du parc si uniques, c’est qu’elles constituaient la seule colonie importante dans la région des Grands Lacs à utiliser un habitat naturel pour la nidification.

Toutes les autres sternes utilisaient des structures artificielles, comme des plateformes de flottaison et des digues.

Comme d’autres colonies, nos sternes étaient en déclin

Ce déclin était en en partie dû au fait qu’elles forment la plus petite colonie des 35 000 couples d’oiseaux essayant de nidifier sur l’île Gull et qu’elles peinent à trouver une place.

Cependant, cela n’explique pas tout.

Grâce à leurs recherches, appuyées en partie par Parcs Ontario et les Amis de Presqu’ile, Arnold et Oswald ont découvert que les sternes avaient généralement deux périodes de nidification.

Lors des couvées tardives, pratiquement aucun oisillon ne survivait et lors des premières couvées, les succès étaient inférieurs aux attentes. On a découvert que les bihoreaux gris (héron bihoreau), nidifiant aux alentours de l’île High Bluff, mangeaient tous les oisillons!

Quoi faire

Le plan de gestion de Presqu’ile prévoit une amélioration d’ordre scientifique de l’habitat de la faune et il a été conclu que les sternes pierregarins avaient besoin d’aide.

En 2014, les chercheurs et les employés du parc ont érigé un enclos pour que les sternes y nidifient. Il s’agissait d’un quadrillage maillé, à environ 65 cm au-dessus du sol, qui permettait aux sternes pierregarins de se poser, mais qui éloignait les plus gros oiseaux (soit tous les autres oiseaux sur l’île Gull!).

L’enclos à sternes a été un succès. Beaucoup plus d’oisillons ont survécu jusqu’au moment de quitter le nid (s’envoler).

Au fil des ans, l’enclos a été modifié et agrandi jusqu’à ce que, en automne 2018, un des plus grands enclos ait été construit en prévision de la saison des amours de 2019.

Mais alors déferlèrent les vagues…

Les choses ont bien commencé en 2019. Les sternes sont revenues en mai et ont installé leur colonie dans le quadrillage protégé.

Toutefois, à mesure que le printemps avançait, le niveau de l’eau du lac Ontario est monté plus haut que d’habitude.

Beaucoup plus haut. Un record d’élévation.

Le clapotis du lac atteignait la structure et lorsqu’une tempête de vent a éclaté à la fin de mai, les nids ont été emportés par l’eau.

Les sternes pierregarins devaient absolument persévérer et elles ont de nouveau nidifié. Mais le 4 juin, un orage a emporté tous les nids et le quadrillage de protection a lui-même été détruit.

Les sternes ont réessayé de l’autre côté de l’île Gull et la colonie a encore été repoussée par l’eau.

C’était certainement fini; elles n’essaieraient plus.

Une dernière tentative

Toutefois, l’instinct de reproduction est fort et les sternes ont essayé une fois de plus, cette fois sur l’île High Bluff.

Carte du parc indiquant où les deux îles sont situées.
L’île High Bluff est située au sud-ouest du parc même.

L’île High Bluff est plus élevée et plus sèche, mais les sternes pierregarins n’y ont jamais nidifié.

À long terme, elles n’auraient aucune chance de survie sur cette île. On sait que des renards et des coyotes y vivent et aucune colonie d’oiseaux terrestres ne peut résister à une telle pression.

Cependant, en 2019, aucun de ces prédateurs ne se trouvait sur l’île High Bluff.

Enfin… une heureuse accalmie!

Mais était-ce trop tard?

La colonie s’est constituée avec presque un mois de retard.

Le tout dernier œuf était Butterball.

Pas encore oisillon, l’œuf de Butterball était le premier pondu dans le nid 63, l’un des derniers nids de la colonie de l’île High Bluff.

Butterball était le seul oisillon à éclore dans ce nid et le dernier de la colonie à le faire, soit le 20 juillet.

Saluez Butterball, sterne pierregarin no 599

On lui a posé une bague sur la patte : no 599. C’était un miracle qu’il ait pu atteindre un stade aussi avancé, mais n’allait-il jamais voler?

Il arrive souvent que les derniers oisillons éclos dans l’année n’apprennent pas à voler à temps, sans parler d’apprendre à chasser par leurs propres moyens. En fait, la plupart des jeunes oiseaux ne survivent pas à leur première année; il y a simplement trop à apprendre, et nos oisillons ont commencé avec du retard.

Bénévole baguant la patte d’un oiseau
Bénévole baguant la patte d’un oiseau

Qu’en est-il des bihoreaux gris mangeurs d’oisillons?

Ces hérons nidifiaient juste à côté des sternes pierregarins!

Mais notre équipe de chercheurs et d’employés du parc était prête à faire face à cette menace. Une fois la colonie établie sur l’île High Bluff, nous sommes passés à l’action, installant un quadrillage de protection au-dessus de la nouvelle colonie. Les jeunes sternes étaient protégées (des bihoreaux gris en tous les cas).

Une course contre la montre

Pour se développer rapidement et apprendre à voler à temps, les oisillons ont besoin de beaucoup de nourriture. De nouveau, la chance est intervenue.

Les hautes eaux du début du printemps avaient créé un étang sur l’île High Bluff Island dans lequel la carpe avait frayé. Cet étang était maintenant isolé du lac et rempli de jeunes carpes. Une source disponible de petits poissons pour les jeunes affamés, juste à côté de la colonie!

Chercheur pesant l’oiseau.
La pesée des oiseaux dans un sac leur permet de se sentir en sécurité et de rester calmes durant le processus.

Les oisillons ont grandi rapidement et notre petit dernier a été l’un des plus rapides. Le numéro 599 pesait 35 g le 23 juillet, 85 g six jours plus tard et un très généreux 135 g le 6 août. Ce dernier dépassant d’environ 20-25 g le poids d’une sterne adulte.

Il n’est pas rare, dans des sites intérieurs de grande qualité comme Presqu’île, que des oisillons soient plus gros qu’un adulte pendant un certain temps. Ils perdent habituellement ce surplus de poids en une semaine environ. Ils le doivent, car ils sont probablement trop gros pour voler!

C’est alors que Butterball (alias no 599) a été baptisé.

Dans les 7 à 10 jours suivants, tous les autres oiseaux se sont envolés, laissant un oisillon rondelet, tout seul dans la colonie du quadrillage.

En réalité, il n’était pas tout à fait seul.

Ses parents étaient restés, défendant le nid et le nourrissant jusqu’au 16 août. Des parents assurément dévoués, mais allait-il voler un jour? Nous nous sommes dit, « un si gros oiseau… arrêtez de le nourrir ».

Le personnel a effectué sa dernière visite le 19 août. Les sternes adultes étaient toujours là, mais bonne nouvelle… Butterball avait perdu 120 g.

Cela devait suffire pour voler, mais le pouvait-il? Le ferait-il?

Butterball avait-il réussi?

Normalement, ainsi devait finir l’histoire, alors que nous ne connaîtrions jamais vraiment le destin de Butterball.

Il est très difficile de retrouver un oiseau particulier une fois qu’il a quitté la colonie. Mais le 25 août, une jeune sterne était posée sur la plage 1, toute seule, lissant tout bonnement son plumage.

Elle avait une bague et, étonnamment, elle nous a laissé suffisamment approcher pour pouvoir photographier sa patte.

Et on pouvait lire : no 599.

C’était Butterball. Il avait appris à voler!

Butterball

C’était un miracle. Un miracle issu de la persistance de la nature, des connaissances acquises au cours de 11 années de recherche, du dévouement des chercheurs et du personnel du parc, de la protection des espaces naturels afin que les espèces puissent y trouver refuge, même les années de conditions météorologiques extrêmes, et – bien sûr – d’un peu de chance.

Et si cette chance persiste, nous espérons revoir Butterball à Presqu’ile, élevant ses propres petits miracles sur l’île Gull dans les années à venir.